Hommage à une battante

Sheryl Sandberg, Anne Lauvergeon, Assia Djebar, Christine Lagarde ou encore Ariana Huffington. Voici une liste non exhaustive que je dresse lorsque l’on me demande quels sont mes modèles de tous les jours. Des femmes leaders et influentes, de notoriété publique, dont j’ai  toujours admiré  la détermination sans limites et la volonté de faire changer les choses. Mais aujourd’hui, je ne veux pas parler de ces femmes que vous connaissez déjà. En effet, je voudrais parler d’une personne incroyable, méconnue du grand public, mais qui a pourtant marqué par son courage infaillible.

Une femme exemplaire au parcours brillant

Il s’agit de Mme Samia Ben, une éminente pédagogue algérienne. Diplômée de l’Institut de sciences politiques ainsi que de la faculté des lettres arabes d’Alger, elle a poursuivi des études approfondies en psycholinguistique à l’Université de la Sorbonne (France) et à l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud (France). Attachée de recherches au Ministère de l’éducation nationale, elle a également enseigné la psycholinguistique à l’Université des sciences sociales d’Alger.

L’ouverture de son école dans un contexte politique, économique et social difficile

Véritable passionnée de pédagogie et guidée par une réelle vision avant-gardiste de l’enseignement, elle décide d’ouvrir une école primaire à Alger dans les années 90. Mais pas n’importe laquelle : une école moderne, tolérante et laïque. Seulement, à cette période, l’Algérie traverse une guerre civile sanglante et doit faire face à la terreur islamiste. Une femme entrepreneure et intellectuelle, comme Samia, était considérée comme hérétique. Cependant, le plus gros obstacle auquel elle a été confrontée reste la politique de l’éducation nationale défendue par le gouvernement algérien. Un enseignement qui embrigade les esprits et ne laisse pas place à l’esprit critique. Ne souhaitant pas le progrès et le changement, le Ministère de l’éducation nationale va tenter sans relâche de faire fermer cette école, mon école.

Je me rappelle de celle-ci comme étant un havre de paix. Un endroit où l’on pouvait exprimer sa créativité, ses différences aussi.  Une école où je n’ai jamais ressenti qu’en tant que fille je ne pouvais pas réussir et poursuivre mes rêves mêmes les plus fous. Bien au contraire, déjà très jeunes les bases de l’entrepreneuriat et du leadership nous ont été enseignés. Aux filles comme aux garçons. Tout cela était impensable dans les écoles étatiques. Pourtant nous n’avions pas beaucoup de moyens. Des salles de classe vétustes, dans lesquelles, l’hiver nous devions garder nos manteaux et où la pluie s’infiltrait à travers une toiture usée. Nous ne recevions, évidemment, aucune subvention de l’État qui n’a jamais voulu reconnaitre l’existence même de cet établissement. L’enseignement y était dispensé en langue française ce qui mécontentait fortement l’éducation nationale qui, dans ses écoles, enseignait dans la langue officielle du pays l’arabe.  Non seulement la langue d’enseignement n’était pas la même, mais le programme scolaire que l’on suivait était totalement différent de celui des écoles publiques. Par exemple, nous n’avions pas de cours d’éducation religieuse (matière normalement obligatoire). Pourtant, cela ne nous empêchait pas de bénéficier de cours passionnants d’histoire des religions. C’est pour ces raisons que le ministère n’a jamais toléré cet affront. Pour eux, un seul enseignement était possible, le leur. Sans agrément officiel de l État, nous étions donc comme des hors-la-loi. Parfois, j’aime à penser que nous étions comme des petits soldats, le simple fait de se rendre à l’école tous les matins était, pour nous et surtout nos parents, un combat quotidien.

 

Une militante acharnée qui n’a jamais eu peur de ses idées

Militante, courageuse et dévouée, Samia a combattu pendant des décennies un système éducatif régressif. Véritable visionnaire, elle favorisait l’épanouissement personnel de l’enfant et un enseignement développant l’esprit critique et l’ouverture d’esprit. Elle s’est fermement opposée à une pensée unique et obscurantiste. Fidèle à elle-même et  à ses valeurs, elle a surmonté tous les obstacles sur sa route. Malgré les nombreuses tentatives de déstabilisation et d’humiliation du gouvernement ainsi que les multiples menaces de mort, elle n’a jamais voulu abandonner. Sans cesse, elle a dénoncé les dangers de l’enseignement public à travers de nombreux articles parus dans la presse nationale, mais aussi sur les plateaux télévisés algériens et français. Elle s’est battue pour maintenir l’ouverture de son école pendant plus de dix ans.

Malheureusement, elle va payer le prix de ses idées. Les menaces sont mises à exécution. Sa fille est kidnappée, violée et droguée. Elle sera retrouvée quelques jours après dans un état pitoyable. Avec beaucoup de courage et de dignité, Samia Ben a tout fait pour l’aider à retrouver une vie normale. Mais en vain, quelques années après ces tragiques évènements, elle mettra fin à ses jours. Touchée au cœur, détruite et fatiguée, Samia décide alors de choisir un autre chemin celui de l’édition. Elle est aujourd’hui la directrice et la fondatrice des éditions « La 7e couleur », spécialisées en littérature pour enfants.

Une femme mémorable

Samia Ben peut être très fière de ses réalisations, un grand nombre de ses anciens élèves a réussi avec brio dans leur vie professionnelle et personnelle, ils n’oublieront jamais sa dévotion. Il est aussi important de préciser qu’elle n’a pas été seule dans ce combat, mais que nos parents lui ont apporté un soutien immense et inconditionnel en lui accordant une confiance aveugle. À travers ces lignes, j’ai voulu vous faire part de l’histoire d’une femme digne à laquelle je veux rendre hommage. Je serais toujours inspirée et influencée par les qualités de cette femme admirable.

Je voudrais donc conclure en remerciant Samia, Maman et Papa, sans eux et leur combat, je ne serais pas la femme accomplie que je suis aujourd’hui. Je leur serais à jamais reconnaissante.

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